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La mode du «jeûne thérapeutique»

Depuis quelques années, le jeûne et les régimes apparentés (restriction calorique, glucidique, protéique) font l’objet d’un engouement de la part du grand public du fait d’une large médiatisation de sa pratique et de ses potentiels effets sur le bien-être, la réduction du risque de maladies comme certains cancers ou même sur l’efficacité et la tolérance des traitements associés. On voit depuis quelques années fleurir ça et là des articles, des publicités et même des émissions de télé sur le jeûne, présenté comme une façon naturelle de se nettoyer (« détox », le mot est à la mode !) et de remettre un peu les compteurs à zéro, y compris sur le plan psychique. Les revues gratuites distribuées dans les magasins bio contiennent moult publicités afin d’inciter les adeptes à faire des cures de jeûne, véritable détox et retour à la nature..

Dans nos pays riches où règne l’abondance de l’offre alimentaire, les maladies de surcharge et les cancers se multiplient et la consommation de médicaments explose. En réaction, certains explorent d’autres voies thérapeutiques et notamment le jeûne, soit par le biais d’associations à visée écologique ou naturopathiques, soit par le biais de groupes religieux.

Les patients, très encadrés, n’ingurgitent rien à part de l’eau durant douze jours en moyenne mais la cure se prolonge parfois trois semaines. Une douloureuse crise d’acidocétose se produit au bout de quelques jours puis bizarrement les gens se sentent en forme, « boostés » et certains y prennent du plaisir et font plusieurs cures.
Certaines cliniques en Allemagne, où aux États-Unis soignent par le jeûne des maladies chroniques. Un organisme à la diète réapprend à vivre de ses réserves, un réflexe de survie qui le purge et le rend plus fort. On connait bien les mécanismes et la physiologie du jeûne. Certains scientifiques étudient les manchots, animaux capables de se passer de nourriture pendant des mois… et de s’en bien porter. Des chercheurs en Union soviétique avaient étudié les mécanismes du jeûne pendant plus de quarante ans, avaient expérimenté le jeûne thérapeutique sur des dizaines de milliers de patients. Tout cela minutieusement décrit dans de nombreuses études. Aux Etats-Unis, une étude récente montre que de courtes périodes de jeûne peuvent être aussi efficaces que la chimiothérapie dans le traitement de certains cancers chez les souris.
S’alimenter que de tisanes pendant une semaine, c’est l’expérience que tentent chaque année plusieurs européens dans le cadre de stages « jeûne et randonnée ». Une cure bien-être censée faire repartir le corps à zéro et éveiller l’esprit, sur un modèle importé d’Allemagne. Là-bas, des stages de ce type sont pratiqués depuis de nombreuses années. Hormis dans un cadre religieux (carême ou ramadan), le jeûne n’est pas pratiqué fréquemment en France.

Pour le ramadan, les fidèles musulmans peuvent manger à leur faim dès le coucher du soleil, ce qui change beaucoup les choses sur le plan de l’organisme et de la fonte musculaire. En Allemagne ou en Russie, certains médecins le proposent à leurs patients, mais en France, heureusement, le jeûne n’est pas considéré comme une méthode de soin, même si les gens minces vivent plus longtemps.

Ce refus du jeûne de la part du monde médical s’explique par le fait que le jeûne est dangereux : quand on jeûne, on épuise très vite son stock de glycogène (stock de glucides présent dans le foie et dans les muscles, environ 300 g), puis on brûle des muscles pour fabriquer du sucre car le cerveau a besoin de 120g de glucides par jour pour fonctionner. La masse « noble » va diminuer peu à peu, l’amaigrissement va se produire aux dépends du muscle en premier puis la masse grasse va diminuer aussi puisqu’on ne mange pas. L’acidocétose qui se produit fait qu’on a l’impression d’avoir « l’esprit beaucoup plus clair » et de libérer son corps de ses toxines, le cerveau est boosté par les corps cétoniques !

Le jeûne doit être considéré avec précaution. Jeûner de manière extrême peut modifier le fonctionnement du cerveau. Certains ont même des hallucinations et peuvent voir des miracles selon l’ambiance de ferveur qui les entourent ! Dans certaines sectes, le jeûne est utilisé pour affaiblir les gens et les rendre plus malléables. C’est pourquoi la MIVILUDES, mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, a attiré l’attention, dans son rapport, sur les dangers que pouvaient représenter ce jeûne « thérapeutique », avec pour cible principale les charlatans et autres « gourous » qui proposent des soins « miracles » pour des » pour des maladies comme le cancer ou le sida ou encore des régimes sur le long terme.
Bien sûr, dans la plupart des cas, les organisateurs prennent des précautions et s’engagent à ne proposer des stages de jeûne diététique qu’à des personnes en bonne santé, en mettant à leur disposition de tous des informations concernant le
jeûne et les adeptes peuvent partir à tout moment s’ils le souhaitent. C’est un peu comme si l’on faisait un séjour dans un gîte rural sauf que là, on ne mange pas ! 400 à 600 euros la semaine, sans manger et en allant faire des randonnées
dans des montagnes, c’est formidable! Sauf, qu’en mangeant, ce serait mieux !

JEÛNE ET CANCER

Quels sont les bénéfices et les risques du jeûne vis-à-vis du cancer ? Les données de cette synthèse sont issues du rapport d’expertise collective menée par le réseau National Alimentation Cancer Recherche (NACRe) soutenu par l’Institut national du cancer (InCa).

La pratique du jeûne en France est un engouement assez récent.

La question du jeûne s’inscrit dans la construction d’un véritable fait social. La notion de jeûne, en s’inspirant de pratiques très anciennes, émerge depuis le XIXe siècle comme une pensée rationnelle et pragmatique et comme une voie thérapeutique et de restauration ou de maintien de la santé. Elle s’est développée en France dans une pensée médicale minoritaire à faible légitimité pendant le XXe siècle, alors que des pays comme l’Allemagne, le Canada ou la Russie ont construit des approches médicalisées au cours du siècle dernier. Ceci se caractérise notamment par l’existence de maisons de jeûne au Canada ou de cliniques médicalisées en Allemagne. En France, la pratique du jeûne fait actuellement l’objet d’un engouement du grand public, des bien-portants mais aussi des malades, notamment atteints de cancer. Si les études et les recherches en sciences humaines et sociales manquent sur les pratiques réelles du jeûne en France, certaines sources indiquent qu’environ 4 000 à 5 000 personnes jeûnent chaque année (en dehors des jeûnes religieux et spirituels)

POINTS CLÉS

1.      Malgré une médiatisation importante du jeûne et des régimes restrictifs, l’analyse globale des connaissances scientifiques disponibles, en particulier cliniques, ne permet pas de conclure à l’intérêt de ces régimes en prévention des cancers ou au cours des traitements de cancers.

2.      Chez les patients atteints de cancer, la perte de poids et de masse musculaire observée dans les études cliniques suggère un risque d’aggravation de la dénutrition et de la sarcopénie, deux facteurs pronostiques péjoratifs reconnus au cours des traitements.  Cela appelle à une vigilance et un dialogue avec l’équipe médicale pour les patients qui voudraient suivre un régime restrictif.

LES “MINI JEÛNES”

C’est ce que certains préconisent et on peut se demander si cela est bien. Certes l’idée est séduisante : il suffirait de réduire ses portions alimentaires quelques jours par mois pour jouir de toute une gamme de bénéfices… et gagner des années de vie en bonne santé ».
Ces “mini-jeûnes” pourraient apporter certains bénéfices: voilà près d’un siècle que l’on connaît certains effets positifs du jeûne… mais seulement quand il est pratiqué de façon radicale. Des animaux de laboratoires alimentés tout au long de leur vie adulte avec des rations réduites d’un tiers, ou privés de nourriture un jour sur deux jusqu’à leur mort, affichent une santé impressionnante. Certains vont jusqu’à gagner 30% d’espérance de vie, et la plupart sont protégés contre de nombreuses maladies (Alzheimer, diabète, cancer…). Des expériences confirmées chez l’humain. Ce n’est pas uniquement la perte des kilos en trop ou la fin des excès qui sont en jeu ici : on s’aperçoit que les privations extrêmes mettent en branle des mécanismes biologiques bien spécifiques, et très bénéfiques. Quand l’organisme est affamé, il déclenche un stress physiologique activant des systèmes de défense, tels que la production de molécules antioxydantes, connues pour ralentir le vieillissement, et des phénomènes d’autophagie, où les cellules digèrent leurs propres déchets moléculaires. La restriction alimentaire entraînerait une baisse de l’inflammation (qui détériore les tissus avec le temps) et pousse le corps, privé de glucides, à puiser de l’énergie dans ses réserves de graisses, les lipides sont ainsi transformés par le foie en corps cétoniques, des molécules bénéfiques pour les cellules gourmandes en énergie (neurones, muscles…). La perte de poids est réelle mais se fait aussi au détriment de la masse musculaire
Durant la plus grande partie de son histoire évolutive, notre espèce a été confrontée à d’importantes restrictions alimentaires. L’organisme humain est donc aussi adapté à ce mode de fonctionnement qu’à celui, très récent, qui consiste à “manger 3 repas tous les jours”.
Il n’est pas sûr que ceux qui peuvent aujourd’hui manger à leur faim soient désireux de renoncer à ce confort ! Manger 5 fruits et légumes par jour reste déjà un défi pour beaucoup de gens qui ne le font pas. Alors, demander à tout le monde de s’imposer volontairement de jeûner un jour sur deux n’est pas forcément une bonne chose..

Les scientifiques ont donc testé des stratégies plus réalistes, découvrant qu’il n’est pas nécessaire de torturer sans arrêt son estomac pour régénérer son organisme.  En 2011, des chercheurs anglais ont élaboré une méthode aujourd’hui très prisée des magazines féminins : le régime 5:2, un “quasi-jeûne”. Soit une restriction calorique intense de 2 jours par semaine seulement, divisant les apports énergétiques journaliers par 3 ou 4. Testé pendant 6 mois sur 41 femmes obèses ou en surpoids, ce régime les a, sans surprise, fait maigrir, améliorant leur état de santé. Elles produisaient aussi davantage de corps cétoniques, et moins de marqueurs de stress oxydant et d’inflammation… Soit les mêmes phénomènes bénéfiques observés lors des privations extrêmes ! En 2015. Pendant 3 mois, 19 volontaires se sont contentés, 5 jours consécutifs par mois, de la moitié des apports caloriques recommandés le premier jour, puis seulement du tiers, les 4 suivants.
On a pu constater les mêmes changements bénéfiques dans les paramètres sanguins. Et chez les souris, on observait une longévité accrue de 11%, un risque de développer des tumeurs diminué de 45%, un système immunitaire rajeuni et une densité osseuse préservée.
Un véritable renouvellement cellulaire avec une disparition très importante de cellules des muscles, du foie et du système immunitaire qui, à la reprise d’une alimentation normale, sont repeuplées à grande vitesse par cellules-souches ». Certains chercheurs considèrent ces mini-jeûnes suffisamment sûrs pour les pratiquer eux-mêmes ! En attendant que des essais cliniques confirment leurs bénéfices, mieux vaut cependant les adopter sous la supervision d’un diététicien, et dans le cadre d’une alimentation équilibrée et d’une activité physique régulière.

CONCLUSION

Le jeûne est un fait social que les médecins, diététiciens et personnel soignant ne peuvent ignorer. Les patients malades ou soucieux de leur santé fondent beaucoup d’espoir dans les médecines complémentaires, et en particulier dans ces régimes restrictifs. Certaines études mettent en évidence une perte de poids et de masse musculaire associée aux régimes restrictifs, pouvant entraîner, au cours des traitements des cancers, un risque d’aggravation de la dénutrition et de la sarcopénie, deux facteurs pronostiques péjoratifs reconnus.

Le rôle des professionnels de santé est essentiel pour être à l’écoute des attentes de leurs patients et permettre un dialogue en les informant sur l’état actuel des connaissances et en les sensibilisant aux risques, en particulier de dénutrition. Pour les patients atteints de cancer qui souhaitent néanmoins s’engager dans ces démarches, une vigilance doit être apportée, en particulier par une évaluation et un suivi nutritionnel régulier.

Sources :

1.        Réseau NACRe.« Jeûne, régimes restrictifs et cancer : revue systématique des données scientifiques et analyse socio-anthropologique sur la place du jeûne en France ». Novembre 2017.

Pour en savoir plus, consulter le rapport du Réseau NACRe « Jeûne, régimes restrictifs et cancer : revue systématique des données scientifiques et analyse socio-anthropologique sur la place du jeûne en France ». Novembre 2017.

https://www6.inra.fr/nacre/Le-reseau-NACRe/Publications/Rapport-NACRe-jeune-regimes-restrictifs-cancer-2017

2.        Jeûne & Bien-être Magazine, n°1, 2016, p.5

3.        « Santé : le jeûne fait recette », Le Parisien, 12 octobre 2015 ;

4.        Pueyo Véronique, « Jeûner dans le Vercors pour se ressourcer et retrouver la pêche », France Bleu Isère, 6 octobre 2016 ;

5.        Tout savoir sur Jeûne et randonnée, 2017.

6.·         https://www.mediscoop.net/index.php?pageID=50d30d009549a8c93f3ac39ca20fefeb&id_newsletter=11803&liste=0&site_origine=revue_mediscoop&midn=11803&from=newsletter

7·         Les mini-jeûnes sont-ils vraiment une panacée ? Magazine Science&vie. Mars 2019

 

 

 

Ces sources mentionnent qu’en Allemagne, qui serait le pays occidental où le jeûne est le plus installé, le nombre annuel de jeûneurs varierait selon les comptages et les années, de 500 000 à 8 millions de personnes avec environ 500 centres différents.