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La mode des « laits végétaux » présente-elle un risque pour la santé?

Tout dépend si on s’adresse à un adulte ou à un enfant. Les jus végétaux sont abusivement dénommés « laits », sans aucune légitimité car cela est interdit par la législation (lait d’amande, de soja, de châtaigne…) et seuls les laits provenant d’animaux ont droit à cette appellation (lait de chèvre, lait de jument, lait d’ânesse). Ces derniers ne sont pas des laits adaptés aux besoins nutritionnels et physiologiques du jeune enfant de moins de 3 ans et il ne faut en aucun cas les substituer aux laits infantiles spécifiques. Leur consommation peut avoir des conséquences dramatiques sur le développement et la santé du bébé à court, moyen et long terme.
Le plus connu de ces jus végétaux est le tonyu, jus issu des graines de soja. Il n’a pas les mêmes propriétés que le lait de vache ou de brebis et contient en particulier très peu de calcium (sauf lorsqu’il est enrichi). Le jus de soja contient des protéines végétales, des graisses en majorité insaturées et pas de cholestérol (or l’apport en cholestérol est indispensable pour le bébé, au niveau des membranes cellulaires notamment pour le développement cérébral et permet de mettre en place une bonne régulation de celui-ci pour plus tard). Enfin, le tonyu est une source de phyto-oestrogènes (isoflavones) à raison de 18 à 47 mg par litre. Ces phyto-oestrogènes peuvent être utiles dans les troubles de la ménopause chez la femme mais sont contre-indiqués chez les enfants jusqu’à trois ans et de toutes façons, chez les garçons. l’enrichissement en calcium présenterait une biodisponibilité moindre que dans un aliment en contenant naturellement.
Valeur nutritionnelle moyenne des « laits » de soja et de vache pasteurisé demi-écrémé:

Valeur nutritionnelle pour 100 ml Kcal

P (g)

L(g)

G (g)

Calcium (mg)

Jus de soja 39 3,7 2,1 1,4 0,8 à 139*
Lait de vache demi – écrémé 46 3,2 1,6 4,6 118

* selon que le jus est enrichi ou non en calcium
Sources : CIQUAL-AFSSA 2008
Le nombre de boissons végétales (trop souvent improprement dénommées « laits ») disponibles sur le marché français a connu une quasi explosion ces dernières années. On compte aujourd’hui 211 boissons présentées comme des laits végétaux à base le plus souvent de soja (92 sur 211), mais aussi d’oléagineux (amande, noisette, noix, sésame et noix de coco), de céréales (riz, avoine, épeautre, blé, kamut, orge, millet, sarrasin).

Ces produits, dont l’Agence nationale de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) propose un descriptif dans un avis publié récemment, sont parfois enrichis en différents nutriments ou matières sucrantes. Aucune de ces boissons végétales disponibles en France ne se présente comme destinée prioritairement à l’alimentation des nourrissons. On trouve même rarement sur la bouteille de certaines d’entre elles des mises en garde telles que « Demander l’avis d’un médecin pour utiliser ce produit dans l’alimentation de bébé » ou encore « Non adapté pour l’alimentation exclusive des nourrissons ». Cette absence d’indications visant les plus jeunes n’empêche pas certains parents d’opter partiellement ou exclusivement pour ces produits en ce qui concerne l’alimentation de leurs enfants avant l’âge de 1an. Plusieurs bouteilles affirment que le produit « peut se donner à un bébé dans un biberon ou à la cuillère en début de sevrage » quand d’autres affirment plus directement : « recommandé pour une croissance harmonieuse », « accompagne favorablement les périodes de croissance » ou encore « particulièrement adapté aux jeunes enfants en période de croissance ».

Outre ces slogans, on assiste à l’émergence d’une défiance accrue à l’égard des « effets de la consommation du lait de vache sur la santé » qui peut pousser certaines mères à s’intéresser aux boissons végétales. L’engouement pour le « végétarisme » favorise par ailleurs ce type de comportement.

En consultation, les pédiatres et les diététiciens observent une augmentation du nombre de parents utilisant ou souhaitant utiliser dans l’alimentation de leurs enfants des boissons végétales ou des laits non issu de la vache. Ces éléments ont incité l’ANSES à mener une enquête et à se pencher notamment sur la composition de ces boissons au regard de l’arrêté ministériel du 11/04/2008 relatif aux préparations pour nourrisson (que ces boissons végétales n’ont pas à respecter). Il apparaît que les apports énergétiques conférés sont inférieurs au seuil minimum dans 73 % des cas, les apports protéiques sont le plus souvent inadaptés (83 %), les apports lipidiques inférieurs au seuil minimum (77 % des boissons) et les apports sodés inadaptés (69 %). Enfin, les teneurs en calcium quand elles figurent sur l’étiquetage sont systématiquement supérieures aux valeurs seuils de la réglementation.
L’ANSES met en garde les parents et les thérapeutes et cite des signalements inquiétants dans le cadre de sa mission de nutrivigilance : deux études récentes recensent 13 cas de complications imputables à la consommation par des nourrissons de boissons végétales. Au-delà de ces cas spécifiques, l’agence relève que les pédiatres ont également signalé une augmentation de cas de malnutrition chez des enfants nourris avec des boissons végétales apparentés à des laits ou de certains laits d’origine animale non bovine. Des mises en garde sur ce sujet ont de fait déjà été émises par la Société française de pédiatrie.

Il semble urgent de rappeler que les boissons végétales ne conviennent pas au remplacement du lait maternel et des laits infantiles chez les nourrissons âgés de moins de un an. L’ANSES rappelle que le lait maternel est l’aliment le mieux adapté aux besoins du nourrisson. En l’absence d’allaitement ou en complément de celui-ci, seules les préparations pour nourrissons ou les préparations de suite (…) et autorisées par la réglementation peuvent couvrir les besoins des nourrissons.
Jusqu’à 3 ans le bébé quadruple son poids et double sa taille de naissance. Dans cette phase de croissance importante, le lait (de femme ou maternisé) reste l’aliment essentiel chez le jeune enfant. Ainsi pour l’alimentation du bébé jusqu’à 3 ans, pour assurer un bon développement au nourrisson et garantir sa santé future, il est primordial de ne pas choisir n’importe quel « lait »… le meilleur choix reste le lait maternel, puis en relais de l’allaitement, le lait 2ème âge jusqu’ à 10-12 mois et ensuite le lait de croissance jusqu’aux 3 ans du bébé.
Dans certaines situations telles que coliques du nourrisson, reflux persistant, voire troubles du sommeil, les parents, pensant bien faire ou étant mal informés, peuvent être amenés à arrêter le lait infantile et à le remplacer par des jus végétaux ou des laits d’animaux ne répondant pas à aux besoins des nourrissons et enfants en bas âge. Les « jus végétaux », abusivement dénommés « laits » ne sont pas adaptés et leur composition révèle rapidement leurs points faibles :

  • Une grande pauvreté en calcium, voire un déficit total,
  • Une grande pauvreté en minéraux, en lipides (acides gras), fer et manque de vitamines A et B12
  • Une moindre richesse en protéines (les protéines d’origine végétale sont de moins bonne valeur nutritionnelle que celles d’origine animale),
  • Une moindre richesse en calories.

Dès la diversification et jusque 3 ans, l’apport lacté reste essentiel dans l’alimentation du bébé et indispensable à son bon développement. Les 3 premières années de la vie sont décisives du fait de l’accroissement staturo-pondéral et du développement cognitif et sensoriel du bébé. Pour assurer ce développement extraordinaire et garantir une bonne santé future, l’organisme du bébé a des besoins très spécifiques en fer, en calcium, en acides gras essentiels, en protéines, en vitamine D.

C’est pour répondre à ces besoins nutritionnels particuliers que les laits infantiles ont été conçus : les laits 2ème âge à partir de 6 mois jusqu’à 10-12 mois, puis les laits de croissance pour les enfants en bas âge de 1 à 3 ans. Trop de mamans l’ignorent encore: 500 ml de lait infantile couvrent la plupart des besoins essentiels en nutriments de l’enfant de 6 mois à 3 ans. En effet, les laits infantiles apportent :

  • Une dose adaptée de protéines, pour ne pas surcharger l’organisme,
  • Des vitamines et des minéraux dont le fer,
  • Des acides gras essentiels (AGE), dont les fameux oméga 3 et les oméga 6, dans des proportions encadrées.

La composition nutritionnelle des laits infantiles est strictement encadrée par une réglementation beaucoup plus exigeante que celle imposée aux aliments courants.
En conclusion, pour les nourrissons et les jeunes enfants de moins de trois ans, les jus de soja ne sont pas adaptés à leurs besoins nutritionnels. Selon l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) et la Société Française de Pédiatrie, ils sont même tout à fait contre-indiqués. Quant aux préparations infantiles à base de protéines de soja (PPS), elles sont désormais déconseillées au moins jusqu’à 6 mois, si l’enfant est à risque allergique, car le soja lui-même peut être responsable d’allergies.

Chez l’adulte, les choses sont plus simples et le fait de prendre un jus végétal est moins susceptible de porter préjudice car on peut se passer du lait et des produits laitiers pour couvrir ses besoins en calcium. On entend souvent que les besoins en produits laitiers/en calcium sont surestimés en occident : les femmes japonaises, chinoises ou africaines par exemple n’en consomment pas et ont très peu d’ostéoporose. Le lait et les produits laitiers ne sont pas indispensables pour assurer les ANC (apports nutritionnels conseillés) en calcium, mais le choix des autres produits riches en calcium et la composition du menu quotidien ne seront pas simples. Les ANC ont été établis et justifiés par les meilleurs spécialistes dans l’ouvrage « apports nutritionnels conseillés pour la population française » publié en 2001. Les scientifiques proposent 900 mg de calcium par jour pour un adulte et 1200 mg par jour pour les adolescents, les femmes de plus de 50 ans et les personnes âgées. Ces données correspondent à peu près à ce qui est préconisé dans les autres pays d’Europe et d’Amérique du nord.

Quand on étudie des rations alimentaires, la part non lactée du calcium journalier représente entre 400 et 450 mg soit moins de la moitié des besoins. Il manquerait donc entre 450 et 800 mg de calcium soit environ 2 à 4 portions de produits laitiers.
On peut compenser en utilisant des aliments, des boissons, ou bien des compléments alimentaires ou médicamenteux :
eaux minérales riches en calcium, jus de fruits enrichis en calcium, fruits secs (noix et amandes apportent 100 à 250 mg pour 100 g, les figues sèches 160 mg aux 100g), mais aussi les petits poissons avec arêtes comme la sardine, les anchois frais (200 mg aux 100g), les crustacés tels le crabe, les crevettes, les mollusques qui apportent tous en moyenne 100 mg de calcium aux 100 g.
Mais il vaut mieux compter sur ces bons aliments pour compléter et non remplacer l’apport en calcium par les produits laitiers. En effet, c’est dans ceux-ci que le calcium est le plus concentré et le plus facile à assimiler par l’organisme. Sans eux, il est difficile de combler nos besoins.
Ce type de « régime », sans produits laitiers, s’il est faisable, n’est pas très digeste à la longue et peut entraîner des troubles du transit.

Chez l’adulte, on sait qu’au delà des 20 premières années, le capital calcique ne peut plus augmenter ; et même qu’il ne fera que baisser avec l’âge, si vous ne consommez pas assez de calcium et si l’apport en vitamine D quotidien n’est pas suffisant. C’est le cas chez les adeptes de régimes déséquilibrés, les anorexiques ou dans certaines situations de précarité. Un effort permanent est alors à fournir tout au long de la vie. Particulièrement, chez les femmes dont les os se déminéralisent au rythme de 2 à 3% par an à partir de la ménopause. Les fractures du col du fémur, du poignet et les tassements vertébraux sont fréquents chez les personnes âgées. Responsable principal : l’ostéoporose parfois due au fait de ne pas avoir constitué un capital calcique suffisant pendant les 20 premières années de sa vie *. Heureusement, si nous ne pouvons pas toujours enrayer ce phénomène, nous pouvons le réduire en continuant de consommer au moins 3 produits laitiers par jour et en ayant une pratique sportive en plein air suffisante, l’activité physique permettant une meilleure fixation du calcium sur l’os et les UV une meilleure synthèse de la vitamine D. Les personnes âgées devraient recevoir au moins une dose concentrée de vitamine D pendant l’hiver (en parler à son médecin).

* la génétique joue un grand rôle dans l’ostéoporose. Il existe des familles à risque et d’autres pas.
Bon à savoir :
50% des français digèrent mal le lait pur. L’intolérance au lactose, contrairement à l’allergie, n’est pas une réaction immunologique. Elle est due à un déficit en un enzyme, appelé lactase, qui permet de digérer le lactose du lait. L’activité lactasique intestinale dépend des individus et diminue avec l’âge, sauf chez les consommateurs réguliers de produits laitiers. On pense qu’environ la moitié de la population française aurait un déficit en lactases et aurait du mal à digérer le lait pur (sauf en petite quantité). Par contre, le lait dans les préparations ou sous forme de yaourt (principalement au lait entier) est bien toléré.
Pour ce qui concerne les laits d’ânesse, de jument, de chèvre, de brebis, ils ne répondent pas toujours aux besoins des nourrissons et enfants en bas âge et peuvent exposer l’enfant à des carences en fer, en vitamines A, C, D, B9 et B12. Certains contiennent trop de protéines ou sont trop gras comme le lait de brebis. Enfin, le lait d’ânesse, proposé par certains éleveurs, ne présente pas de garanties suffisantes en matière de contrôle infectieux. Le lait de chèvre est moins utilisé que le lait de vache mais au niveau des nutriments, a une composition proche du lait de vache, notamment en protéines, lipides et glucides.