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Sans gluten, sans lactose, et …sans fondements !

Entre régimes d’exclusion et peurs alimentaires irrationnelles, on assiste à un boom des produits « sans ». Grâce à la médiatisation, différentes écoles pseudoscientifiques, peu éthiques, préconisent nombre de régimes d’exclusion.
Autrefois réservés à certains types de patients souffrant de pathologies rares, ils sont aujourd’hui promus et proposés au plus grand nombre, et ce dans la grande majorité des cas, sans la moindre justification médicale.
L’allergie sert ici souvent de bon prétexte justifiant ces régimes, relayant une certaine paranoïa vis à vis d’aliments comme le lait, le sucre, le gluten… pour au final faire émerger des comportements alimentaires dangereux potentiellement pourvoyeurs de carences.

La loi de l’offre ?

Autre facteur favorisant ces comportements irrationnels, l’accessibilité même de produits labellisés « sans ». Ces produits, presque des alicaments, transformés par l’industrie pour répondre aux besoins des personnes intolérantes, sont accessibles à tous puisque vendus en grandes surfaces : les « bio », les « allégés », et les « sans »… Un choix de plus en plus complexe pour le consommateur, surtout lorsque la publicité vient entretenir le doute comme c’est le cas actuellement avec le lait sans lactose, proposé à tout ceux qui voudraient mieux digérer ou les produits sans gluten…
Loin d’arguments médicaux validés, ces régimes exclusifs répondent bien davantage aux lois implacables du marketing : créer un besoin d’exister, de s’affirmer, de se différencier des autres. De consommer différemment. Et pourquoi pas, par le biais de ces régimes, répondre à des souffrances, qu’elles soient physiques ou psychiques, par un système « financier » car ces produits sont au final vendus plus cher…

Pas d’exclusion sans diagnostic !

L’AFDN, association professionnelle des diététiciens français, rappelle qu’il n’y a aucun intérêt de mettre en place ces régimes sans pathologie avérée ! Alors qu’une intolérance au gluten ou au lactose relève d’un diagnostic et d’un véritable bilan médical, les personnes qui « s’auto-diagnostiquent » intolérantes et mettent en place elles-mêmes des régimes d’exclusion avec le risque de déséquilibrer leur alimentation et de créer de véritables carences, sont de plus en plus nombreuses.

Le lait …Gare aux rumeurs

Certaines rumeurs issues de la littérature récente affirment que les produits laitiers provoqueraient des maladies dont l’ostéoporose. L’académie de médecine rappelle en la matière que « les seules contre-indications du lait sont l’allergie, en général non persistante, aux protéines laitières (surtout caséine) chez le nourrisson ». L’intolérance au lactose, par manque de lactase, est essentiellement retrouvée chez les populations asiatiques ou dans les régions méridionales et ne concerne que le lait et non les fromages et produits fermentés.
Faut-il le rappeler, le lait et les produits laitiers sont la principale source de calcium dans l’alimentation humaine. Sans eux, il est impossible d’assurer les apports recommandés selon l’âge. Les bienfaits des produits laitiers : un apport protéique très important de bonne valeur biologique, des peptides bioactifs, des sources de phosphore, de potassium, d’oligo-éléments (zinc, iode, sélénium…) et de vitamines (A, B12, B1, B6…).
De la naissance à 6 mois, les besoins en calcium sont garantis par le lait maternel ou artificiel. Jusqu’à trois 3 ans, le lait de suite et lait de croissance sont indispensables pour assurer les besoins en calcium, protéines et en acides gras essentiels, fer et vitamines. Plus tard, à l’adolescence, un jeune qui ne consomme pas de produits laitiers aura une carence en calcium car son régime de base ne lui procure que la moitié des apports nutritionnels conseillés. Les enquêtes alimentaires françaises montrent qu’au moins 2/3 des adolescentes n’atteignent les recommandations en calcium. Chez l’adulte, l’association de vitamine D au calcium limite les risques de fractures. Là encore, les produits laitiers restent la source principale de calcium et de protéine. Chez la personne âgée enfin ou la femme ménopausée, s’il existe des risques importants d’ostéoporose, un supplément en calcium et vitamine D doit être automatiquement préconisé.

Régime sans gluten… mais pour qui ?

Bannir le gluten, une alternative aux régimes dits « classiques » pour perdre du poids, un moyen d’augmenter ses défenses immunitaires, de lutter contre les allergies, d’optimiser sa digestion…Des allégations sans fondement !
Le régime sans gluten s’adresse uniquement aux personnes souffrant d’une allergie ou d’une intolérance au blé et ses dérivés (maladie coeliaque). Le gluten est une protéine contenue dans certaines céréales. Elle peut provoquer un véritable problème, la maladie coeliaque ou intolérance au gluten : celle-ci s’apparente à une sorte d’allergie et se manifeste par des troubles intestinaux, avec une atrophie des villosités intestinales à la coloscopie dès que la personne consomme des aliments qui contiennent du blé, du seigle, de l’orge… Mais cette maladie se manifeste généralement dès l’enfance et il est très rare qu’un adulte soudainement se révèle intolérant au gluten, et soit obligé d’exclure le gluten de son alimentation.

Une seule étude ne fait pas consensus…

Dernièrement relayées dans la presse, des données ont amené de nombreux parents d’enfants autistes à placer tous leurs espoirs dans des régimes alimentaires reposant sur l’exclusion du gluten et de la caséine. Un rapport de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (ANSES) met en garde ces familles et recommande de les éviter dans le cas de l’autisme. Les données scientifiques actuelles s’y rattachant ne permettent pas en effet de conclure à un effet bénéfique de cette stratégie nutritionnelle, inefficace et potentiellement dangereuse.

Enfant et adolescent: Il faut se méfier des croyances alimentaires!

L’épidémie des régimes « sans » chez les jeunes adultes aboutit progressivement à un paradoxe psychosocial qu’il faut prendre en compte dans l’analyse des conséquences médicales de ces régimes alimentaires d’exclusion : alors que leurs adeptes recherchent une alimentation qu’ils estiment plus saine, plus naturelle, moins chimiquement polluée, ils vont s’orienter vers des produits de gammes industrielles. Mais la préoccupation majeure concerne les enfants et le risque de carences lié à ces régimes d’exclusion.

Se poser les questions du comment et pourquoi l’épidémie de régime « sans gluten » est devenue un phénomène de société permettra de modifier les comportements de prise alimentaire. Le succès du « sans gluten » est fondé sur l’avantage que le gluten désigne en un mot le responsable des problèmes de santé, et que ceux qu’il induit sont suffisamment polymorphes pour prendre une réelle signification aux yeux d’un large panel de la population. Ce modèle mental simple est favorisé par le cas particulier de la maladie cœliaque qui va servir d’illustration pour marquer la dangerosité du gluten. Il est exploité par l’industrie agro-alimentaire, en s’appuyant sur la récente pathologie de l’hypersensibilité au gluten et les faiblesses des croyances populaires pour générer une déferlante de la demande de produits sans gluten de la part d’une population pourtant non cœliaque. Le régime sans lactose se rapproche de ce cas d’école avec la crainte d’une réelle pathologie liée aux déficits en lactases.

Risque de carences des régimes « SANS » chez l’enfant

En nutrition pédiatrique, l’enjeu majeur est de lutter contre les carences et, par conséquent, contre la « malbouffe », ce terme étant employé non pas comme un synonyme de « junk food », mais pour qualifier les régimes déviants chez l’enfant et délétères comme le végétalisme et tous les régimes d’exclusion à la mode chez les adolescents. Il s’agit d’une sorte « d’orthorexie alimentaire » par « procuration » de la part des parents, exposant leur progéniture à un risque de carences délétères. Bien que très désocialisant pour l’enfant, le régime « sans gluten » est mis à part car, contrairement aux autres, il n’entraîne aucune carence nutritionnelle comme on le lit pourtant très souvent. Les gens se pourrissent la vie, sans plus..

Les régimes sans lait, sans produits laitiers et sans viande se placent à un niveau nettement plus préoccupant ! En effet, les besoins en calcium sont particulièrement élevés en pédiatrie (jusqu’à 1 200 mg/j de 10 à 18 ans). Or, le lait et les produits laitiers sont de loin la principale source de calcium et ce calcium est idéalement absorbé.

Le problème est que si certains végétaux sont très riches en calcium (Par exemple, 150 ml de lait de vache apportent 180 mg de calcium, autant que 400 g de légumes verts, 600 g de légumes secs ou 880 ml d’eau Vittel), la biodisponibilité relative du calcium n’est pas à la hauteur. Seuls les choux et les brocolis ont un coefficient d’absorption un peu supérieur ou identique au lait. Encore faudrait-il faire manger de grandes quantités de chou vert aux enfants et adolescents. Il est donc difficile d’assurer les apports en calcium en se nourrissant de végétaux, d’où un risque important de déficit chez l’enfant et l’adolescent alors même que la minéralisation osseuse s’effectue uniquement au cours de la croissance.

De nombreuses études ont confirmé que la consommation réduite de lait et de produits laitiers pendant l’enfance et l’adolescence non seulement diminue la densité minérale osseuse (DMO), mais augmente le risque fracturaire toute la vie. Par ailleurs, la DMO chez les adolescentes est aussi dépendante de la concentration en vitamine D.
Dans l’idéal, le thérapeute ne devrait pas tenter de dissuader les parents très convaincus mais proposer pour leur enfant une supplémentation systématique en calcium (500 à 1000 mg/jour, selon l’âge et les autres apports comme les eaux minérales) associée à de la vitamine D à raison de 80 à 100 000 UI tous les trimestres et pas uniquement deux fois pendant les mois d’hiver comment en population générale jusqu’à 18 ans.

Vigilance avec les régimes sans produits carnés

Un nombre croissant d’adolescents refusent de consommer tout produit carné au nom de la défense de la cause animale. Pourtant, l’intérêt de la viande ne réside pas dans les protéines – ces carences sont rarissimes en France – mais dans le fer. La Société française de pédiatrie a revu en 2017 les besoins recommandés en fer absorbé (et non pas ingéré), de 0,2 mg/j à 0-6 mois à 1,8 mg/j chez les garçons de 12-17 ans et 2,4 mg/j chez les filles de 12-17 ans. La biodisponibilité du fer des produits carnés est sept fois plus importante que celle des végétaux. Lorsqu’il est apporté par l’hémoglobine ou la myoglobine de la viande et du muscle sous forme de fer héminique (viande, abats, poisson), son taux d’absorption est entre 20 % et 30 %. Lorsqu’il est ingéré sous forme de fer non héminique Fe3+ (lait, œufs, végétaux), son taux d’absorption oscille entre 2 % et 5 %.

Dans les laits infantiles (fer ferreux + vitamine C), le taux d’absorption augmente à 10-20 %. Le fer du lait de mère a un taux d’absorption de 50 %. C’est pourquoi certains aliments très connus pour leur richesse en fer (épinards, lentilles, etc.) le sont bien plus que la plupart des viandes, mais avec un fer finalement peu absorbé. En effet, 100 g d’épinards apportent 2,1 mg de fer pour 0,04 -0,11 mg de fer absorbé, alors que 100 g de bœuf apportent 3 mg de fer pour 0,60-0,90 mg de fer absorbé.

La consommation de produits carnés est le meilleur moyen pour assurer les besoins en fer après l’arrêt des laits infantiles  avec une zone de recoupement entre 4 et 6 ans. Pour absorber 1 mg de fer, il faut 500 ml de lait de croissance, 17 g de boudin noir, 130 g de bœuf, 800 g de poisson, 1,3 kg d’épinards cuits ou 2 kg de légumes secs.

Point important, les forts besoins en fer des adolescentes : les apports nutritionnels conseillés médians (ANC nécessaires pour 50 % de la population) sont à 1,2 mg/j chez les filles et 1,3 mg/j chez les garçons, ce qui représente environ 200 g de produits carnés par jour.
La population féminine à risque de carence (2,5 %) est surtout celle à l’extrême droite de la courbe de Gauss des ANC. Pour ces filles, les besoins sont nettement supérieurs voire doublés.
Les risques de la carence en fer sont bien étayés, au-delà de l’anémie et de la fatigue.

Ces dernières années ont vu la parution d’études confirmant :

·         une sensibilité accrue aux infections,

·         l’altération du fonctionnement cérébral avec des anomalies du développement cognitif,

·         des troubles neuropsychiatriques dont deux fois plus de dépression et d’anxiété, six fois plus de troubles bipolaires, trois fois plus de troubles du spectre autistique,

·         des retards de développement

·         des troubles du comportement (hyperactivité).

Respecter l’idéologie des parents ou de l’adolescent est là aussi le mot d’ordre tout en supplémentant en fer (2-3 mg/kg/jour) après avoir au préalable dosé la ferritinémie du fait du caractère non systématique de la carence martiale.

Diversifier, le maître mot…

L’AFDN recommande toujours d’avoir une alimentation diversifiée, et certainement pas de supprimer des aliments ! Pour les personnes souhaitant suivre un régime amaigrissant, ou retrouver une alimentation équilibrée, exclure des produits comme le lactose ou le gluten par exemple, n’a aucun intérêt. Par contre les diététiciens, forts de leur expertise, peuvent prendre en charge les personnes médicalement identifiées ne supportant pas ces aliments. Une prise en charge spécifique qui veillera dès lors à n’entraîner aucune carence soit sur la croissance, si ce sont des jeunes, soit sur le statut nutritionnel pour les adultes.
Si toutefois une personne décide d’exclure tel ou tel aliment pour des raisons autres que médicales, les diététiciens auront pour tâche d’ouvrir un dialogue pour comprendre les fondements de cette décision en essayant de faire émerger de façon pédagogique les enjeux capitaux d’une alimentation diversifiée sur la santé. Notre mission est d’accompagner les patients afin de mettre en place, malgré tout, une alimentation équilibrée en aidant à compenser les carences, notamment avec des compléments alimentaires.

Sources :

  • AFDN communiqué de presse du 30 Mars 2012
  • Communications du Dr P.Laurent et du Pr P.Tounian. Congrès des Sociétés de Pédiatrie 24-26 mai 2018
  • Kanis JA, Borgstrom F, De Laet C et al. Assessment of fracture risk. Osteoporos Int. 2005;16(6):581-9.
  • Tounian P, Chouraqui JP. Fer et nutrition. Archives de Pédiatrie. 2017;24(5S):5S23-5S31.
  • Loréal O, Bardou-Jacquet E, Island ML et al. Métabolisme du fer. Cahiers de Nutrition et de Diététique. 2012;47(3):117-24.
  • Domellöf M, Braegger C, Campoy C et al. Iron requirements of infants and toddlers. J Pediatr Gastroenterol Nutr. 2014; 58(1):119-29.       Scientific Opinion on nutrient requirements and dietary intakes of infants and young children in the European Union.EFSA Journal. 2013;11(10):3408.
  • Roussel A, Michel M, Lefevre-Utile A, De Pontual L, Faye A, Chevreul K. Impact of social deprivation on length of stay for common infectious diseases in two French university-affiliated general pediatric departments. Arch Pediatr.2018;25(6):359-64.
  • Vallée L. Iron and Neurodevelopment. Arch Pediatr. 2017;24(5S):5S18-5S22.
  • Chen MH, Su TP, Chen YS et al. Association between psychiatric disorders and iron deficiency anemia among children and adolescents: a nationwide population-based study. BMC Psychiatry. 2013;13:161.
  • Konofal E, Lecendreux M, Deron J et al. Effects of iron supplementation on attention deficit hyperactivity disorder in children. Pediatr Neurol. 2008;38(1):20-6.