Les fractures de fatigue (dites encore de stress) sont relativement fréquentes chez les danseuses,
dès le plus jeune âge. On les note surtout dans les activités sportives où l’esthétique joue un
rôle fort comme la danse ou le patinage artistique. Ces fractures sont souvent en rapport avec
des erreurs d’entraînement associées à un surentraînement pour des enfants, adolescents et
jeunes adultes qui mobilisent fortement leur corps en pleine croissance. Elles sont à rapprocher
des particularités diététiques et hormonales de la jeune danseuse.
Les fractures de fatigue peuvent être le stade ultime de carences et révèlent un manque de calcium sur l’os, voire une
ostéoporose qu’il serait bon de prévenir et de dépister avant que cela ne survienne !
La « fracture de fatigue » n’est pas une vraie fracture comme son nom l’indique. Elle consiste en une modification localisée de la structure osseuse, provoquée par une activité physique intense et inhabituelle. Elle est la résultante d’importantes sollicitations répétées de la structure osseuse responsable d’une fragilité de l’os. Elle apparaît sur un os sain, sans traumatisme
évident, surtout chez les adolescents et peut toucher tous les os.
Chez les danseuses, elle survient plus fréquemment au niveau des membres inférieurs et des pieds du fait de la sollicitation soutenue et répétée des jambes. Les douleurs surviennent exclusivement lors de la pratique du sport et disparaissent au repos. Mais au cours du temps, elles deviennent permanentes et peuvent être à l’origine de vraies fractures.
La fracture de fatigue peut être rapportée presque exclusivement au surentraînement, à la nature du sol de la piste de danse et à un mauvais positionnement des membres. Chez la danseuse, elle peut être rattachée à des facteurs surajoutés comme les troubles alimentaires et les carences hormonales. L’apparition d’une fracture de fatigue nécessite de réaliser un bilan médical pour rechercher d’éventuelles anomalies à l’origine de sa formation. Si les fractures de fatigue ont été surtout étudiées chez les filles, elles peuvent aussi survenir aussi chez les jeunes garçons s’il y a carences nutritionnelles et/ou insuffisance de production de testostérone.
La danseuse est soumise au diktat du principe « d’archi maigre ». On lui impose pour répondre à l’exigence plastique de cet art, de se situer dans la zone pondérale de maigreur, avec une adiposité faible pour répondre au standard de silhouette requise surtout pour les danseuses classiques. Une silhouette idéale exige un indice de masse corporelle (BMI) se situant entre
18,5 et 19. Si elle est maigre de façon constitutionnelle (et d’une famille de maigres) une jeune danseuse ne sera pas confrontée au fait de devoir lutter contre les kilos, mais si elle a tendance à prendre du poids, elle devra le plus souvent se soumettre dès le plus jeune âge à des régimes draconiens pour acquérir ou garder cette ligne « archi maigre ». La restriction et le contrôle
volontaire de l’alimentation seront plus marqués, et surtout au moment de l’adolescence où les modifications hormonales transforment le corps et donnent une silhouette un peu plus « adipeuse ».
Les contraintes d’horaires, le stress qui coupe la faim, la nécessité de faire soi-même ses courses du fait de l’éloignement de la famille, le manque de moyens financiers pour assurer une bonne alimentation font que bon nombre de jeunes danseurs mangent peu. On constate souvent lors des interrogatoires alimentaires des apports nutritionnels très inférieurs aux apports
nécessaires aux besoins de l’organisme en pleine croissance, besoins qui sont en plus augmentés par les dépenses énergétiques liées à la pratique d’un sport, ici la danse, d’une manière intensive.
De même que dans les cas d’anorexie mentale, les gens imposent à leur organisme des carences graves en éléments essentiels, à l’édification et à l’entretien du tissu osseux : manque de protéines (élément de structure de la masse osseuse), de vitamines (essentiellement la vitamine D) et de minéraux comme le calcium et le phosphore.
Des modifications hormonales peuvent ajouter un effet néfaste : la baisse de la T3 (hormone thyroïdienne), de l’hormone de croissance, l’augmentation de la cortisolémie notées dans les anorexies peuvent exercer sur la masse osseuse un effet délétère supplémentaire.
Plusieurs facteurs sont impliqués dans l’apparition des fractures de fatigue :
l’insuffisance de poids, la restriction alimentaire, le surentraînement et le stress. Ils sont intriqués entre eux et,
ensemble, sont des perturbateurs de la fonction endocrinienne. Ces facteurs font chuter la production d’oestrogènes, hormones féminines qui sont nécessaires à la féminisation et à l’apparition des cycles menstruels. Elles ont aussi un rôle très important dans le développement osseux, le renouvellement et la consolidation des os. La production des oestrogènes au moment
de la puberté est responsable de la poussée staturale. Ainsi, une carence en oestrogènes à ce moment-là retentit directement, avec une intensité variable, sur le développement osseux.
Trois facteurs influencent la production des oestrogènes en l’abaissant :
- un entraînement intensif,
- une masse grasse trop faible
- le stress psychologique.
Ces troubles peuvent avoir pour origine une anomalie des secrétions hormonales au niveau du cerveau
(hypothalamus) ou des carences alimentaires.
Chez les danseuses pratiquant une activité régulière et sans excès, les carences sont rares et les
règles sont régulières. Par contre chez les danseuses de haut niveau dont l’activité est plus
importante, on note une fréquence élevée des troubles des règles. Chez certaines danseuses bien
réglées, l’augmentation de la pratique de la danse, peut être à l’origine d’un arrêt des règles,
réversible lorsque l’intensité de l’effort baisse.
Le rôle de la masse grasse
Les adolescentes présentant des modifications des règles sont le plus souvent des jeunes filles
qui présentent une insuffisance pondérale et une masse grasse trop faible. En effet, pour
maintenir un taux d’imprégnation suffisant de 17B oestradiol (forme active des oestrogènes), il
faut une masse grasse suffisante. Celui-ci provient d’un précurseur qui, une fois secrété par les
ovaires doit être activé dans les cellules du tissu adipeux (le tissu gras). Lorsque la masse
grasse descend au-dessous d’un certain volume, elle ne peut assurer cette transformation : il se
produit alors une insuffisance en œstrogènes et par conséquence, une absence de règles ou
d’ovulation.
Ces troubles peuvent survenir chez des danseuses qui ont un faible poids constitutionnel. Ils
peuvent apparaître à l’occasion de pertes de poids qui vont faire chuter le taux des œstrogènes
dans le sang.
Le rôle du stress
La modification hormonale est renforcée par le stress. Le climat hormonal de carence qui en
résulte peut être assimilé à une ménopause dont le principal facteur de risque est la raréfaction
de la trame osseuse et de l’os cortical qui ont des effets néfastes à moyen et long terme.
Les agressions quelles qu’elles soient peuvent provoquer, via la sécrétion d’hormones produites par
les surrénales, comme les catécholamines, un déséquilibre du cycle menstruel en modifiant
l’équilibre de la sécrétion des hormones de l’hypophyse, glande centrale de régulation des
systèmes hormonaux. C’est par ce phénomène que les stress prolongés sur plusieurs jours ou
plusieurs semaines sont à l’origine du blocage de l’ovulation et des sécrétions ovariennes. Le
stress aigu n’a pas la même influence, il est plutôt facilitateur puisqu’une émotion peut
déclencher une ovulation. Ces aménorrhées ne sont pas permanentes, elles peuvent régresser
lorsque le stress est moins présent. Il est fréquent de constater que les danseuses ont leurs règles
pendant les vacances ou lors d’un arrêt de la danse de deux à trois mois.
Le rôle des carences alimentaires
L’insuffisance d’apports nutritionnels va fragiliser la structure osseuse. Les protéines sont
très importantes et sont à la base de l’édification des os. Des apports en protéines faibles
sont fréquemment constatés. Le calcium permet la consolidation de l’os. En dessous de
trois produits laitiers par jour, il y a un risque de carence en calcium, élément essentiel de la
minéralisation osseuse. Un apport alimentaire insuffisant ne permet pas de couvrir les
apports de sécurité en vitamines et minéraux. La vitamine D est indispensable à
l’absorption intestinale du calcium et à sa fixation sur l’os.
Le rôle de la charge de travail trop lourde.
Une onde de choc trop importante et trop fréquemment répétée est impliquée dans l’apparition
de ces fractures. L’os casse là où il est le plus sollicité : au niveau des pieds !
Facteurs à surveiller :
Il convient d’être vigilant et de surveiller de près certains facteurs de risque :
- Une danseuse fluette.
La maigreur fait craindre une masse adipeuse insuffisante pour une production d’oestrogènes
correcte. Dans les mécanismes à l’origine de fractures de fatigue, il intervient aussi la force liée
à l’onde de choc qui se transmet à une masse plus faible.
80 % des danseuses classiques porteuses d’une fracture de stress récente ont un poids inférieur
à 75 % du poids théorique !. - Une alimentation restreinte et mal équilibrée.
Un apport calcique trop faible, des apports énergétiques restreints, des repas sautés, une
restriction calorique chronique sont des facteurs qui se surajoutent l’un l’autre dans la
responsabilité de la survenue des fractures de fatigue. Les études ont montré que les fractures
de stress étaient significativement corrélées avec un régime restrictif pauvre en matières grasses
et riche en aliments à densité calorique basse. Y sont associés plus fréquemment des désordres
alimentaires. La consommation de tabac et l’excès de café sont aussi des facteurs de risque
d’une ostéoporose précoce. - L’absence de règles.
Soit la danseuse n’a jamais eu ses règles, on parle d’aménorrhée primaire. Si elle a déjà été
réglée, mais que les règles ont été interrompues, il s’agit d’aménorrhée secondaire.
Dans tous les cas, une intervention diététique est nécessaire. On estime que l’absence de règles
pendant 6 mois ou un retard de survenue des premières règles au-delà de 16 ans peut être
source d’une diminution de la densité osseuse et une augmentation de la survenue des fractures
de fatigue. - Une fragilité des cheveux et des ongles.
Des ongles et des cheveux ternes et cassants, une peau sèche, doit orienter vers des déficits
hormonaux et des carences vitaminiques. - L’intensité des cours, le surentraînement.
Les élèves des conservatoires supérieurs sont plus à risque de faire des fractures de fatigue que
celles qui suivent des cours à raison de deux à trois heures par semaine.
Correction diététique :
Veiller tout d’abord à avoir un apport correct en protéines.
Les besoins sont estimés à 1g voire 1,2g de protéines par kilo de poids et par jour pour un
adolescent, soit 50 à 60g de protéines pour une danseuse de 50kg. La ration est déterminée en
s’aidant des équivalences et des possibilités de substitution des aliments protidiques. Elle sera
répartie sur les trois repas. 10g de protéines sont représentés en moyenne par:
Pour les protéines animales:
50 g de viande ou volaille ou abats ou jambon ou poisson
1œuf moyen
250 ml de lait qu’il soit écrémé ou demi-écrémé
2 yaourts
120 g de fromage frais
50 g de camembert ou autre fromage à pâte molle
50 g de fromage fondu
30 g de comté ou autre fromage à pâte dure
Pour les protéines végétales :
125 g de pain
200 g de pâtes cuites
150 g de riz
125 g de légumes secs cuits
3 yaourts au soja
Les féculents et les légumineuses sont aussi des sources protidiques mais leur bonne utilisation
pour l’anabolisme musculaire nécessite de respecter la complémentation végétarienne qui doit
associer au cours de la même prise féculents et légumes secs.
Aussi une danseuse de 50 kg qui consomme le matin : un café avec un verre de lait et deux
morceaux de pain (50 g) ; à midi 50g de viande ou un œuf, une crudité (100 g), un morceau de
fromage (40 g) et un fruit (150 g) ; le soir une crudité (0g), deux morceaux de pain (50 g), un
yaourt et un fruit aura une alimentation carencée.
On lui conseillera de d’ajouter un yaourt ou un morceau de fromage à son petit-déjeuner, de
prendre une ration plus importante de protéines à midi, par exemple 100g de viande ou 150g de
poulet ou de poisson et d’introduire des protéines au repas du soir, par exemple, un œuf, une
tranche de jambon ou des légumes secs avec un produit laitier.
Exemple de répartition pour une ration de 65g de protéines :
Matin : 1 bol de lait de 200 ml, 2 tranches de pain soit 50 g, beurre ou margarine équilibre,
1yaourt, 1 jus de fruits 100%
Midi : 100g de viande, 200g de féculents cuits, 40g de fromage, 1 tranche de pain soit 25 g,
1fruit
Dîner : un oeuf, 200 g de légumes verts cuits, 1 yaourt, 1 tranche de pain soit 25 g, un fruit ou
une compote.
Total en protéines = 65 g
Respecter un apport en calcium de 800 à 1200mg de calcium par jour pour les enfants et de
1200 à 1500mg pour les adolescents et les adultes.
Pour une ration moyenne comptez :
1/2 litre de lait + 2 yaourts + 30g de fromage
ou 1/4 de litre de lait + 2 yaourts + 2 portions de 30g de fromage
ou 3 yaourts + 1 entremet + 2 portions de fromage (60g)
Rappelons qu’il y a autant de calcium dans les produits laitiers, qu’ils soient allégés ou non, en
matières grasses. On peut équilibrer son apport en vitamine D par la consommation de poissons
gras comme la sardine, le saumon, le maquereau une fois par semaine, d’œufs deux à trois fois
par semaine, de beurre ou de margarine spéciale le matin. Dans certains cas, on peut être amené
à faire un apport par un traitement médicamenteux au début de l’hiver.
il est nécessaire de surveiller le poids et d’agir dès amaigrissement.
Les conseils d’entraînement.
L’entraînement des danseuses devrait comporter régulièrement des exercices de port de poids
pour stimuler le renforcement des os, en provoquant un effort de charge, une traction
musculaire et tendineuse qui stimule mécaniquement l’os et par la même son métabolisme.
En conclusion
La fragilité osseuse et l’ostéoporose sont à craindre chez les danseuses, surtout classiques.
Rappelons que la masse osseuse se constitue jusqu’à 25 ans. Ainsi, l’adolescence avec ses
restrictions fait que la majorité des danseuses qui pratiquent la danse et qui se restreignent sur
le plan alimentaire sont à haut risque d’ostéoporose et de fractures de fatigue.
Le suivi médical étant souvent succinct, il faut savoir les motiver et les éduquer pour qu’elles suivent très tôt des mesures
de prévention associant un exercice physique adapté avec des levers de poids, une alimentation suffisante et le maintien d’un niveau hormonal suffisant. Ces mesures devant être mises en place très tôt, il incombe aux parents, aux médecins et aux professeurs d’être vigilants. Il faudrait absolument exclure de la bouche de tous ceux qui gravitent autour de ces enfants les
mots « gros » ou « grosse », « trop gros » et « trop grosse ». Une enfant qui n’a pas la morphologie idéale d’une danseuse classique, par exemple des fessiers un peu hauts ou une musculature plus développée au niveau des cuisses n’est pas trop grosse. Des exercices appropriés peuvent l’aider dans son développement, l’orientation par exemple vers la danse
contemporaine peut être salutaire.
Les conservatoires de danse étant dépendants du Ministère de la culture et non de la Jeunesse et
sport, il serait bon que le Ministère de la santé donne des directives pour le suivi de cette population.