La pomme de terre est un aliment incontournable de la cuisine contemporaine.
Elle est pour certains l’aliment de base, plutôt pas chère, nourrissante. Et pourtant, son histoire est rocambolesque! D’extraction « exotique », elle a connu des civilisations glorieuses – mais aujourd’hui perdues – , la table des princes européens, et les soins d’un auguste pharmacien… pour échoir finalement sur nos tablées, en toute humilité. Ses variétés, ses modes de préparation, ses recettes sont nombreuses et savoureuses. Que dire de la french fried potatoe, connue dans le monde
entier !!…
Il est intéressant de découvrir l’histoire très extraordinaire du « noble tubercule » : la pomme de terre (de son nom latin Solanum tuberosa…) Elle semble avoir trouvé spontanément naissance près des côtes péruviennes, à partir
d’hybridations tout à fait naturelles, environ 8000 ans avant notre ère. Les populations préhistoriques installées sur les rives du lac Titicaca la cultivèrent à partir du 9ème siècle avant Jésus Christ, et développèrent très rapidement des techniques agricoles variées, des outils spécifiques, et des modes de conservation adaptés.
Les Incas la tiennent donc de leurs ancêtres, mais ce sont eux qui lui donnent le nom Quetchua de ”Papa” avant de la faire connaître aux conquistadores espagnols…Le nom de papas est toujours utilisé au Mexique (papas fritas..) et a donné le nom de « patate » une fois arrivée en Europe.
C’est ainsi que la pomme de terre nous parvint… en compagnie du cacao, du maïs, des lupins, des tomates, de l’avocat, des courges, du coton, du tabac et de tant d’autres merveilles de la gastronomie.
Une entrée un peu ratée, pour tout dire, pour cette pomme de terre car ses fleurs (très proches
de celles de la belladone) et sa culture (beaucoup trop facile pour être honnête..) firent
craindre aux européens qu’elle ne fut l’envoyée du diable !…
La pomme de terre fut d’abord importée du Chili en Espagne sous le nom de patate. En 1550, elle passa en Italie où on l’appela tortufole. Elle fut importée d’Amérique en Irlande en 1545, par John Hawhings ; puis, en 1585, Walter Ralegh l’importa de nouveau. De l’Irlande, elle passa en 1594 dans le Lancashire et plus tard en Hollande et en Flandre…
C’est en future Allemagne, en Prusse, au 18ème siècle, qu’elle fit sa véritable percée. Mais par la force : en effet, Frédéric II de Prusse, convaincu de ses qualités, fit adopter en 1744 une loi obligeant ses sujets à la cultiver et à la manger, sous peine de se faire couper les oreilles… Un succès, si l’on considère qu’aujourd’hui l’Allemagne est le premier producteur européen de pommes de terre !
En France, à la même époque, elle se cantonne encore à la nourriture animale… jusqu’à la guerre de Sept ans et le séjour d’Antoine-Augustin Parmentier, dans les geôles prussiennes… Le pharmacien des armées n’y a pas perdu son temps, puisqu’il constate que les plâtrées de “patates” attribuées à chaque repas lui permettent de survivre…
La suite, vous la connaissez ! Ce sont les famines endémiques qui perdurent depuis le 17ème siècle… les vains efforts de Parmentier pour persuader, ses compatriotes, des ressources de sa championne dans la lutte contre la malnutrition… (Parmentier: Traité de recherche sur les végétaux nourrissants qui, dans les temps de Disette, peuvent remplacer les aliments
ordinaires. Avec de nouvelles observations sur la culture des pommes de terre. Paris, Imprimerie Royale, 1781) Édition originale ornée d’une planche dépliante (Vicaire 657).
Les premiers carrés de plants cultivés sont sur les terres de Neuilly, aux portes de la Capitale… En effet, le roi octroit à Parmentier des terrains qui servaient à des manœuvres militaires au lieu dit plaine des Sablons, d’où le nom du quartier de Neuilly et de la station de métro correspondante.
L’aventure française de la pomme de terre a commencé à Neuilly sur Seine. La culture des premiers plans de pomme de terre dans la plaine des Sablons est mise sous bonne garde par la milice royale, ce qui a pour conséquence de dorer l’image du « noble
tubercule » et de créer un interêt certain… la relâche de cette garde dès la tombée de la nuit laisse libre cours au chapardage… et – enfin – l’introduction de la « pomme de terre » dans les potagers et les cuisines françaises ! depuis lors, son succès ne s’est plus démenti… Le nom de « pomme de terre » est dû au roi Louis XVI qui a demandé qu’on lui donne un
nom plus élégant que celui de ”patate”, utilisée jusque-là.
Depuis, à l’eau, sautée à l’huile ou à la graisse d’oie, au four, à la casserole, en potage, entière, râpée, tronçonnée, tranchée, écrasée, farçie… elle est devenue la reine de nos tablées !
Sur le plan des coloris de sa peau, à l’origine, la pomme de terre nous est arrivée au 16ème siècle habillée de rouge. Depuis sa garde robe s’est étendue à toutes les gammes du jaune, au rose, au presque noir, au violet, au bleu ou au mauve… les races de pomme de terre ne manquent pas, alors, il ne faut pas hésiter à les varier !
Pour un panier aux couleurs d’une moitié d’arc-en-ciel, vous pouvez choisir les variétés :
– gamme des bleus-violets:
Bleue d’Auvergne ou Violette du Forez, Vitelotte, Edzell Blue, Mauve Queen, Trois Yeux
bleu…
– gamme des jaunes :
35% des ménages français achètent de la Bintje… changez pour les Charlotte, Amandine,
Pompadour, Chipie, Ratte, Bonnotte de Noirmoutiers, Cornichette, Emeraude et autres plus
inhabituelles !
– gamme des rouges-roses :
Chérie, Jambut rouge, Lady Rosetta, Rosine, Rouge de Jersey, Ratte rose, TroisYeux rouge,
Ruby, Franceline…
– gamme des violet-noir :
Vitellotte noire
Il existe même une pomme de terre en forme de cœur ! ( la variété ”Institut de Beauvais”, une
pomme de terre jaune saumonée, teintée partiellement de rose et à chair presque blanche !)
Aujourd’hui, sortie de la frite ou de la purée, la patate n’a pas toujours la côte. On a oublié la
diversité extraordinaire de ce tubercule et ses nombreux atouts. Non, elle ne fait pas grossir !
Elle est riche en fibres, en potassium, en vitamine C et en glucides complexes. Oui, elle est
délicieuse au four, rôtie, en paillasson, en croquette, farcie, en gratin… En plus la pomme de
terre offre toujours au producteur le meilleur rendement en matière sèche, c’est-à-dire que l’on
peut en seulement trois mois produire 50 tonnes sur un seul hectare de terre !
Et c’est la raison pour laquelle les organismes internationaux s’y intéressent de près comme
l’une des solutions à la crise alimentaire dans certains pays pauvres. A l’INRA de Ploudaniel,
dans le Nord-Finistère, sont cultivées plus de 1000 variétés de pommes de terre. Chaque
année, sur ce site qui renferme 20 000 clones, environ trente chercheurs évaluent une dizaine
de nouvelles variétés dont la moitié pourra être mise un jour sur le marché.
L’une des dernières nées, la Coquine, a demandé 12 ans d’études. Son atout : elle est résistante
au mildiou, et peut donc être cultivée sans produits chimiques, en agriculture biologique. En
plus, toutes ces nouvelles patates sont soigneusement sélectionnées pour offrir une chair
souvent ferme et très goûteuse.
Un peu d’histoire sur Parmentier :
Antoine-Augustin Parmentier (1737-1813) dont la statue trône devant l’hotel de ville de
Neuilly, qui béneficie d’une place et d’une rue dans notre bonne ville, est un des inconnus les
plus célèbres de notre histoire. Chacun fait de lui l’”inventeur” de la pomme de terre, mais on
ignore souvent les talents multiples et l’inlassable activité (soixante années durant) de ce
pharmacien au grand cœur. Homme de l’Ancien Régime, savant des Lumières confronté à la
Révolution, puis grand commis de l’Empire, Parmentier fut de toutes les époques, toujours
consulté, mais jamais au premier plan. Ce Picard sans fortune, dont la sœur sert de confidente
et collaboratrice, incarne le savant des temps modernes. Il fut tour à tour pharmacien militaire,
agronome, chimiste, œnologue, nutritionniste et hygiéniste avant la lettre.
Son ambition était de faire le bonheur des hommes, couvrir les besoins nutritionnels et
supprimer les famines, si fréquentes à l’époque, améliorer l’alimentation du peuple et
instaurer une vraie hygiène publique. Parmentier a été un grand savant doublé d’un honnête
homme qui s’est dévoué au service des autres. Il a été élu à l’Académie des Sciences le 13
décembre 1795, à 58 ans.
Pharmacien de formation , Antoine-Augustin Parmentier renonça à bien des honneurs pour ne
poursuivre qu’un seul but, essentiel à ses yeux : convaincre les Français des bienfaits de la
pomme de terre, nourriture alors considérée comme n’étant « bonne que pour les cochons ».
Envers et contre tous, il persévéra dans son combat, allant jusqu’à cultiver cette plante aux
portes de Paris, dans une plaine réputée stérile, sur la plaine sablonneuse des Sablons, vaste
terrain de manœuvres militaires.
Il y a 200 ans, la pomme de terre était exclue de notre alimentation. C’est Parmentier qui a
dissipé en France les préjugés enracinés contre la pomme de terre. Les agriculteurs croyaient
qu’en la cultivant on nuisait à la terre, et tout le monde s’imaginait qu’en l’admettant au
nombre des aliments on favoriserait les maladies et notamment la lèpre…à chaque époque ses peurs !!